Office National de Diffusion Artistique

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Carnet #5 - Bénin
8-14 avril 2024
Bénin

Par Nathalie Besançon, directrice de la Scène Nationale d’Albi-Tarn

Carnet en forme d’abécédaire incomplet et subjectif

Artistes rencontré·e·s
Elles et ils sont à la fois : interprètes et metteur·e·s en scène et/ou chorégraphes, chercheur·euse·s, technicien·ne·s, enseignant·e·s, directeur·rice·s de centres culturels qu’elle·il·s ont fondés, financent avec leurs fonds propres dans la grande majorité des cas, grâce aux métiers alimentaires qu’elles·ils cumulent le plus souvent. Elles et ils ont forcé notre admiration par la pensée d’un art engagé et leur volontarisme à toute épreuve à l’activer au plus près de la population.
 
Bureaux de production
À SUDCRÉA, rencontre avec les 3 bureaux d’accompagnement et de production pour le théâtre (Carlos Zinsou - la prod.bénin), la danse (Chakirou Salami - les Mouvants) et la musique (Fidèle Dossou - Bénin musique), accompagnés en structuration par l’Institut français avec l’appui du bureau de production les Aventurièr·e·s. Engagement, détermination d’artistes qui s’organisent, malgré l’absence de soutien, avec l’espoir de l’activation effective d’une politique culturelle publique via la récente ADAC (Agence de Développement des Arts et de la Culture - 2023), mais la lucidité de devoir attendre encore son effectivité.

Carnet #5 - Bénin

Cotonou - base de notre séjour
La capitale économique du Bénin, du fait de son port, à l’extrême sud du pays. Sur cette bande de terre étroite entre l’océan et le lac Nokoué, l’urbanisation semble s’étirer toujours plus loin, les grues sont partout, signes tangibles du vaste programme de développement économique engagé par le gouvernement, qui mise sur le tourisme - collusions sociales, urbaines, environnementales et collatérales plus que perceptibles…

Droits culturels
En pensée, en actes et à l’œuvre partout où nous sommes passé·e·s, dans tous les projets et convictions d’artistes et tous leurs « modes de faire » - lorsqu’elles et ils embarquent les populations des quartiers dès la conception des projets, édifications partagées des centres culturels, conçoivent des médiations astucieuses autant qu’inclusives. Exemples parmi tant d’autres : les taxis-motos Zem en tant que médiateurs du projet du centre culturel la Ba’Z, les ateliers de théâtre enfants et les « Conseils de Parents » à la Maison Jeunesse Culture de Togoudo, populations et usager·e·s associé·e·s de A à Z à la conception de la rénovation patrimoniale des places Vodùn de Porto-Novo, cycles de lecture associant les habitant·e·s du quartier du centre La Ba’Z…

Enfance
Enfance partout, de façon incroyablement présente - de tout âge, en nombre et en intensité - dans toutes les salles à ciel ouvert des centres culturels où jouent les artistes, quelle que soit la complexité ou adresse du propos artistique. Enfance sur le plateau de la Maison Jeunesse Culture (MJ&C) de Togoudo, pour une restitution impeccablement tenue et investie d’un atelier théâtral. Image marquante et de joie communicative du groupe d’enfants devant la scène et qui progressivement l’envahit en dansant, rejoignant les artistes. Enfance dans tous les ateliers organisés par les artistes des centres culturels. Enfance et sens du collectif partout.

Fresque
Plongée en couleurs dans le Bénin d’hier et d’aujourd’hui. Sensation de gigantisme… celui de la longue fresque de Street art sur le mur qui longe le port de Cotonou, à 2 pas du Palais présidentiel - non moins imposant. Les arts visuels sont au centre de l’attention du gouvernement et c’est visible. À l’invitation du festival Effet Graff, depuis 2022, des artistes béninoi·se·s et du monde entier sont invité·e·s à réaliser les pans d’une œuvre murale - à terme 5 kms de murs seront couverts. Histoire en images du Bénin, de ses symboles historiques et culturels, religieux, sa culture et ses désirs de futur. Personnages, rois et reines, Amazones, représentations de la vie quotidienne, des traditions et divinités ornent des pans de murs dans différents styles. L’une des plus imposantes est signée de l’artiste brésilien Eduardo Kobra et met en avant le dialogue interreligieux dans un pays où les religions catholiques, musulmanes cohabitent avec le Vodùn (Vaudou), entre autres. La fresque révèle aussi la mémoire de l’esclavage, ou encore les 26 oeuvres restituées récemment par la France à la République du Bénin.

Formation
Sans doute l’un des grands enjeux pour les artistes d’aujourd’hui et la structuration du secteur. À Abomey-Calavi, l’EITB (École Internationale de Théâtre du Bénin) d’Alougbine Dine, école privée, est la seule école de théâtre du Bénin de comédien·ne·s (licence professionnelle en art et technique du théâtre). Il n’existe pas d’école de danse. Du côté public, un Institut National des métiers d’art et d’archéologie (ISMAC) et l’université qui propose des  enseignements et parcours à l’image du Master en administration de la culture. Des classes culturelles (secondaire) pour le théâtre, la danse, la musique et les arts plastiques sont lancées depuis début 2023 par le Ministère du tourisme, de la culture et des arts, avec une difficulté de recrutement de formateur·rice·s. Lors d’un de nos échanges, les artistes pointent la nécessité d’une structuration rapide de la formation au Bénin, en tant que réponse à la « fuite des cerveaux », d’une prise en compte urgente pour la jeunesse.

Femme
Parole d’une femme artiste (rencontre à Parakou)  « le théâtre m’a permis de dire ici ce que je ne peux pas dire - dès lors que je ne mets ma robe de comédienne ».

Gogo la renverse, pièce de Camille Adébah Amouro, auteur béninois récemment disparu. Mise en scène de Florisse Adjanohoun, avec Giovanni Sèdjro Houansou, Didier Sèdoha Nassegande, Carlos Adékambi Zinsou, Florisse Adjanohoun et le musicien Landry Padonou. Après l’orage, représentation à la MJ&C de Togoudo, dont notre réception de spectateur·rice·s a été surmultipliée par l’intensité de celle du public - incité à être acteur, le public y a pris toute sa place : vibrante, animée, joyeuse et volubile, tandis que la langue du texte nous a déplacé·e·s. Plus précisément les langues de cette satire socio-politique - écrite en français, interprétée à 70% en langue fon dans le sud du pays, ou d’autres langues plus au nord. Moment de théâtre de grande justesse.

Histoire
Panorama passionnant de Gérard Bassalé, historien de l’art, spécialiste du Vodùn, directeur du centre culturel de Ouadada à Porto-Novo et Lewis Kounkpé, étudiant en histoire et spécialiste du patrimoine du Nord Bénin. Nécessaire introduction du séjour, qui nous éclaire sur les héritages de ce qui fait le Bénin d’aujourd’hui. Pêle-mêle : origines Yoroubas et Fons, culture Vodùn et syncrétisme religieux, royaumes, chefferies et lignages innervant encore aujourd’hui la société, traite négrière et croisements culturels afro-descendants avec Haïti, Cuba et le Brésil, héritages et périodes de colonisation, conférence de Berlin, proclamation de la République du Dahomey (1960), période marxiste-léniniste de la République populaire du Bénin (1072-1990) puis République du Bénin. Transmettre, enseigner l’histoire avec transparence pour poser des relations équitables dans les échanges avec l’international, c’est la conviction de Gérard Bassalé. L’art peut panser les blessures, conclut-il.

Institut français du Bénin, en soutien actif à la structuration et la production, à la création des femmes, à l’implantation territoriale et à la visibilité internationale des artistes, projets sélectionnés avec les acteur·rice·s culturel·le·s béninoi·se·s. Pour le spectacle vivant, des centaines de dossiers qui sont présentés aux sélections, signe de la fertilité de la création.

Langues multiples, puisqu’une soixantaine de langues sont parlées au Bénin.

MI KWABO, qui signifie aussi Bienvenue.
Plus précisément « soyez les bienvenu·e·s », en langue fon, dans un pays qui en compte une soixantaine. Bienvenue se dit, se chante et se danse avec joie à notre arrivée à l’EITB - Ecole Internationale du théâtre du Bénin. Bienvenue se symbolise aussi par un peu d’eau versée sur le palier avant que les invité·e·s ne le franchissent. Partout, une immense hospitalité et des rencontres marquantes pour notre petit groupe. 

Porte du Non-Retour, érigée sur la plage de Ouidah en mémoire des esclaves. Se passe de commentaires.

Ouadada (voir lettre P) aussi signifie bienvenue, en langue nago.

Ouidah
Ville à l’ouest de Cotonou, principal point de départ de la déportation de 2 milliards d’Africain·e·s du XVIIIe au XIXe siècle. La ville abrite aussi le Temple des Pythons, animal sacré de la culture Vodùn dont elle est un lieu central (fête annuelle du Vodùn en janvier). Rencontres avec les pythons. Le gouvernement Ouidah est une ville mémorielle (lieux emblématiques et « route des esclaves ») à partir de laquelle le gouvernement entend développer le tourisme (pour en avoir une vision plus précise, cliquer ICI).
Visite et spectacles au Centre Culturel de Rencontre International John Smith, projet porté et dirigé par Janvier Nougloï depuis 2020 - avec l’engagement pérenne de la ville. Installé dans un ancien tribunal colonial, le CCRI active histoire, recherche et création artistique, notamment pour les écritures théâtrales. Il est en relation étroite avec La Chartreuse à Villeneuve lez Avignon et échange avec la Martinique. Le CCRI comprend salles de spectacle, bibliothèque, salles de travail, d’exposition et une exposition permanente « Femmes et esclavages » (d’hier et d’aujourd’hui). Le lien avec la population y est, là aussi, particulièrement soigné (résidence et formule de forfait qui donne un accès illimité à toutes les propositions, de la bibliothèque aux spectacles par exemple).

Porto-Novo
Capitale du Bénin, où cohabitent vestiges abimés de l’architecture afro-brésilienne et chantier du futur siège du Parlement du Bénin (constructeur chinois) parcourue en compagnie de Gérard Bassalé. Il y dirige (construction de ses propres mains) l’Espace Ouadada - centre artistique, culturel et touristique porteur de la culture béninoise : résidences d’artistes, programmation, ateliers et stages… Historien de l’art, attaché à la préservation des patrimoines matériels et immatériels, Gérard Bassalé est aussi à l’origine d’un programme de rénovation des 40 places Vodùn (lieu d’habitation d’une figure du Vodùn) de Porto-Novo, à l’issue d’un travail de cartographie minutieuse de trois ans (2001). Les places sont rénovées au fil des festivals-ateliers annuels « Éclosions urbaines » (voir aussi lettres D et Z).

Quartiers populaires dans lesquels sont installés les centres culturels visités. Pourrait aussi se répertorier à la lettre N - nécessité.

Rencontre itinérante et relation : des artistes revu·e·s à plusieurs reprises, en plusieurs contextes, des relations qui se nouent, des échanges qui s’affinent.
Rencontre itinérante synonyme de ressourcement ? Oui de toute évidence ! Renouer avec le sens, tant l’engagement des artistes et acteur·rice·s rencontré·e·s dépasse tous les obstacles : constellation de solidarités, sens du collectif et de création.

Spectacles
18 spectacles au programme de cette rencontre. Nous avons été saisi·e·s par la force du théâtre, dans ses enjeux et la qualité du jeu d’acteur·rice. Parmi les spectacles découverts, Tsunami 2.0 de Nourou-Deen Eniola (danse/cirque), 2500 jours et nuits d’Achille Sentira (théâtre), Chasser les fantômes et Que nos voix résonnent de Cybelline de Souza (théâtre/performance), l’Harmony's Brass-Band (musique)… plus d’infos dans les rencontres à venir.

Tourisme et politique culturelle
Le ministère rassemble le tourisme, la culture et les arts. Associés au développement touristique, tout comme le patrimoine, les arts visuels sont très soutenus (en 2024 pour la première fois, le Bénin a un pavillon national à la Biennale de Venise). Le spectacle vivant ne bénéficie pas d’aides publiques. Le FITHEB - Festival International du Bénin (danse, théâtre et musique), a disparu en 2020. Le récent Conseil National des Organisations d’Artistes (CNOA) rassemble 237 associations (15 000 membres). Il est en phase d’activation et est le seul interlocuteur reconnu par le gouvernement.

Utopies
« Nous sommes là et nous fabriquons nos utopies ici » Alougbine Dine, fondateur de l’EITB. « Il s’agit de faire d’eux (les comédien·ne·s en formation) des engagés du théâtre ».
« Nous restons debout et nous avançons avec rien, et rien c’est nous » (échanges avec des artistes à la Ba’z, formidable projet porté par Didier Nasségandé à Ouedo).

Vodùn comme une culture, un support de transmission et de connaissance et une philosophie, voire une écosophie, si on se réfère à la relation au vivant, aux plantes qui soignent et aux arbres, sacrés car nécessitant d’être protégés.

Walô dance center de Rachelle Agbossou à Abomey-Calavi. Rencontre avec cette artiste lumineuse et engagée, ancienne interprète du Ballet national du Bénin et de Heddy Maalem. En l’absence d’école de danse, elle crée sa compagnie et la porte dans un centre de formation, d’accueil et de transmission dans un quartier populaire, ouvert officiellement en 2020. Elle y investit la bourse partagée par Germaine Acogny (Prix de l’Académie des Arts), à l’exemple de son École des Sables.

Z comme la fondation Zinsou, vue à Ouidah. Dans une demeure patrimoniale de style afro-brésilien, cette fondation d’art contemporain créée par la franco-béninoise Marie-Cécile Zinsou, présente une collection qui s’enrichit des œuvres créées par les artistes accueilli·e·s régulièrement en résidence.

Z comme Zem - du nom des taxis-motos qui sillonnent en nombre Cotonou, mode de transport privilégié - et à bas prix - en l’absence de transport en commun.

Z comme Zangbéto - figure Vodùn - le gardien de la nuit