Office National de Diffusion Artistique

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Carnet #1 - Kosovo & Macédoine du Nord

Au détour de notre parcours, nous avons collectionné quelques vues subjectives des Balkans, de son histoire, son contexte et sa scène indépendante. 

Un grand merci à Jeton Naziraj (Qendra multimédia / Kosovo) et Biljana Tarunovska (Lokomotiva / Skopje) qui nous ont reçus, guidés et mis en contact avec des personnes passionnantes.

Carnet #1 - Kosovo & Macédoine du Nord

Pristina, Kosovo

Par Marie-Pia Bureau, Onda

Lundi 17 avril

10h / Place Pristina

Nous avions rendez-vous devant la statue de Bill Clinton pour un audiowalk avec l'artiste Florent Mehmeti.

« Vous les Français, on sait que vous vous étonnez de la présence d’une statue de Bill Clinton dans la ville et que souvent ça vous agace parce que vous êtes en général un peu anti-américains, mais nous les Kosovars, on remercie les Américains d’être intervenus pour mettre fin à la guerre ». Et effectivement, c’est bien de guerre dont il était question dans cette balade sous casque. Une entrée en matière saisissante pour découvrir une ville dont l’aspect paisible en ce mardi matin contrastait étonnamment avec les récits intimes qui nous étaient délivrés sous casque. Florent qui nous accompagnait a l’air jeune encore et a grandi dans le centre de la ville. Sa jeunesse à lui, c’est celle de souvenirs d’amis tués au bistrot du coin de la rue, de l’attente angoissée de l’ordre de mobilisation, de la tentative d’être comédien au milieu des tirs et dans la précarité ambiante. 1999, ce n’est pas si loin.

La statue de Bill Clinton, important au Kosovo pour être intervenu afin que la guerre cesse.
La statue de Bill Clinton, important au Kosovo pour être intervenu afin que la guerre cesse.
Florent Mehmeti, artiste et notre guide à Pristina pour une audiowalk.
Florent Mehmeti, artiste et notre guide à Pristina pour une audiowalk.

19h / QG de l’association Qendra Multimédia

Qendra Multimedia est une association dirigée par Jeton Neziraj, auteur et responsable de programmation au Théâtre Oda. Malgré les difficultés économiques et politiques au Kosovo, Jeton partage la réalité de la création théâtrale dans cette région. Pour produire ses pièces, il dépend de partenaires européens qui peuvent le coproduire.

Nous avons assisté à la pièce "The Handke Project", mise en scène par Blerta Neziraj, où Jeton exprime sa colère à l'égard du prix Nobel de littérature décerné à Peter Handke en 2019. Handke a soutenu le régime de Slobodan Milošević et a remis en question l'existence du massacre de Srebrenica, où plus de 8000 Bosniaques ont été assassinés par les forces serbes commandées par Milošević. Depuis la présentation de sa pièce à Belgrade, Jeton est considéré comme persona non grata en Serbie.

Après la représentation, nous étions profondément marqués par ce que nous venions de vivre. Le théâtre, très incarné et intense, nous a d'abord déstabilisés en raison de sa forme qui diffère de nos codes habituels, mais il laisse une empreinte durable en chacun de nous.

Skopje, Macédoine du Nord

par Julien Daillère, metteur en scène et performeur participant au voyage

Mercredi 19 avril

10h / Place Alexander

Ivana Dragsic et Ivan Menkinoski nous ont guidés à travers un “KitschTour” dans le centre-ville, complètement métamorphosé par le projet architectural « Skopje 2014 » du gouvernement nationaliste alors en place. 

Mais aussi, nous avons observé les images d’un « brutaliste tour » de la ville que nous a fait faire l’artiste macédonien Filip Jovanovsky le lendemain, à la découverte d’une autre vision de Skopje, avec des bâtiments à l’abandon d’une architecture datant de l’ancienne Yougoslavie.

Les artistes cherchent à se réapproprier ce patrimoine en y réalisant des performances, comme dans l’ancienne Poste, mais en sont souvent chassés.

Quelques informations marquantes :

Avant le début des travaux, les habitants de Skopje ont découvert une présentation vidéo du projet "Skopje 2014" sur YouTube, publiée par un compte non identifié. Aucune annonce préalable n'avait été faite, et l'origine de la conception de ce projet reste toujours inconnue. Les travaux, d'un coût de 800 millions d'euros, ont été réalisés sans consultation publique.

La construction d'un théâtre et/ou opéra national semblait être une bonne nouvelle, car il n'y avait pas de bâtiment adapté pour accueillir de grandes productions. Cependant, le bâtiment s'avère totalement inadapté : aucun pont de déchargement ni ouverture suffisamment large n'ont été prévus pour les décors, les loges sont encombrées de moulures et de sièges imposants, et il n'y a pas d'espace de stockage, entre autres problèmes.

Auparavant, la place principale verdoyante était le lieu de rassemblement des différentes communautés pour des fêtes et des rassemblements divers, qu'ils soient liés à des origines ethniques, religieuses ou sociales. Cependant, le revêtement de la place la rend impraticable en été en raison de la chaleur réfléchie, ainsi qu'en automne et en hiver en raison des risques de glissades causés par la pluie et la neige. De plus, un système de diffusion sonore imposait en permanence des musiques grandiloquentes, telles que Wagner, et des écrans publicitaires géants sont toujours présents. Cette transformation de la place, défigurée par une immense sculpture centrale, s'inscrit dans une démarche globale visant à diviser les communautés en des espaces géographiques distincts.

Dans les sculptures de 2014, les femmes sont systématiquement représentées en tant que mères, muses ou femmes tournées vers les hommes, tandis que les hommes sont représentés en tant que soldats, intellectuels, figures historiques ou politiques, parfois sans lien avec l'histoire du pays. Cela participe à une reconstruction fantasmée de l'histoire et à la réhabilitation de personnalités controversées ou ridicules. De plus, le pont réservé aux artistes, situé en face d'une série de neuf sculptures féminines (les muses), ne représente que des hommes

Performance

« Срам » / « Shame » - 19h

Македонски народен театар, théâtre national de Macédoine

 

Résumé : Angela partage son rapport à la nourriture, de son enfance jusqu'à aujourd'hui. Elle évoque les moments joyeux passés à manger en famille, les astuces pour profiter de plusieurs repas dans les cuisines des proches, et son classement des plats selon différents critères. Cependant, elle raconte aussi l'apparition de la honte liée à son poids, avec les brimades, humiliations et discriminations qu'elle a subies, aussi bien à l'école que sur les applications de rencontre. Pendant la représentation, elle prépare l'un de ses desserts préférés qu'elle partage avec le public, accompagné d'une compilation d'extraits de vidéos familiales où on la voit manger.

Lors des échanges, plusieurs personnes ont été émues par la partie du spectacle où Angela énumère les différentes hontes qu'elle a ressenties. Angela se sent à la fois heureuse et stressée de présenter son travail devant le public. Elle a déjà joué ce spectacle plusieurs fois en macédonien, mais c'était la première fois qu'elle le jouait en anglais.

Talks with artistes

(Artopia et Angela Stojanovska) - 13h - Maison des artistes

Le spectacle ACT(O)ReSses /  Artopia (theater) - 17h 

C’est l’aboutissement de 10 ans de travail, d’essais, etc. Le travail sur des récits engageant l’histoire intime des artistes a été possible car l’équipe du spectacle est avant tout un groupe d’ami·es. Leurs liens étaient assez forts pour « be naked in front of the others, kiss each other, share intimate stories… ». Sur le processus de création : chaque artiste faisait au groupe une proposition dramaturgique (pas seulement un partage d’intimité ou d’anecdotes brutes) et c’est à partir de ces propositions artistiques que le groupe réagissait. Le point de départ de ce travail était une réflexion sur leur condition d’artiste, leurs contextes et parcours professionnels. Ensuite ont émergé des thématiques sur le genre, le corps, liées à leurs histoires personnelles, intimes.

 

16h, Institution publique 

Une discussion sans table ronde avec les représentants de différentes organisations : Artan Sadiku (Jadro - Association for independent cultural scene/Jadro Centre) ; Margarita Arsova (MKC - Youth Cultural Centre) ; Mirko Popov (PMG Recordings) ; Besfort Idrizi (Albanian Children Theatre DTC) and Skopje Dance Theatre.

Performance

« Ми треба ново тело » / « I need a new body » - 20h, MKC 

 

Résumé : Un duo de femmes explore le mouvement à travers des techniques de respiration. Leur corps devient à la fois une pompe à lait ou à air, évoquant l'allaitement aliénant et la course effrénée du capitalisme vers une exploitation incessante, symbolisée par le bruit des marteaux-piqueurs en arrière-plan. Elles parviennent à s'extraire de ce mouvement initial en revêtant des costumes gonflables, devenant ainsi de "nouveaux corps" qui se gonflent progressivement tandis qu'elles tournoient telles des mannequins de prêt-à-porter. Pour conclure cette présentation, elles cherchent encore à faire danser ces corps-là.

Le spectacle est présenté au Centre culturel des jeunes (YCC), fondé en 1972 sous le nom de « Maison des jeunes - 25 mai ». Le YCC a pour mission principale de promouvoir la culture et les valeurs culturelles et scientifiques des jeunes. Avec une programmation riche incluant musique, cinéma, théâtre, littérature, ainsi que des ateliers, des conférences, des débats et des clubs de débat, le YCC occupe une position stratégique dans la vie des jeunes de Skopje et de tout le pays. Le Centre culturel des jeunes, rebaptisé au début des années 90, reste un lieu incontournable de socialisation, d'échange d'idées et d'expression libre de la jeunesse.

Lors de la représentation, les spectateurs ressentent une perte de repères dans un espace entièrement blanc. L'observation des mouvements répétitifs et leur évolution lente suscitent l'intrigue. Certaines situations absurdes provoquent des rires, comme le lait jaillissant des bouches des interprètes ou l'apparition des costumes de bodybuilders au fur et à mesure de leur gonflement.

Pour résumer : 

Freins au développement de la scène indépendante :

  • Soutien insuffisant des ONG culturelles par l’État : financements limités par des appels à projets annuels, décisions arbitraires des personnalités politiques en fonction.
  • Manque de soutien des institutions publiques envers les artistes indépendants : non-reconnaissance de ce soutien comme faisant partie de leurs missions, préférence pour la location payante des espaces d'accueil, pression exercée par les syndicats sur les rares institutions engagées dans ce soutien non financé.
  • Pénurie de lieux : privatisation généralisée de l'espace public, nécessité d'autorisation et de tarification élevée pour une occupation temporaire, disponibilité limitée des lieux fermés et état souvent délabré, risque de réattribution rapide à d'autres organisations en raison de changements politiques ou de lobbying.

Facteurs de soutien à la scène indépendante :

  • Rémunération des artistes au sein d'institutions publiques en tant que fonctionnaires.
  • Volonté des artistes de s'investir dans des formes de spectacle vivant offrant davantage de liberté artistique que les esthétiques institutionnelles.
  • Soutien des fondations, bourses, centres culturels étrangers, festivals et structures culturelles internationales.
  • Quelques rares ONG locales bénéficient du soutien de l'État.
  • Le MKC (Maison de la Culture de la Ville) à Skopje, seule institution publique remplissant cette mission.